La défaite du régime libéral du 25 mars 2012 est le résultat de la
conjonction entre d’une part, des revendications populaires, sociales,
citoyennes, tangibles et pressantes avec d’autre part, l’exaspération d’une
élite politique frustrée par un style de management autoritaire et suranné. La
victoire du candidat de la coalition Macky 2012 fut placée sous le signe du
Yakaar, parce qu’elle symbolisait l’espoir de tout un peuple, qui aspirait à
être gouverné autrement et mieux. La célébration de ce premier anniversaire,
au-delà de son caractère festif, nous donne l’occasion d’une évaluation de la
période écoulée, une sorte de bilan d’étape.
Il faut dire que le pouvoir yakaariste s’est trouvé confronté, dès sa
naissance, à trois ordres de difficultés. D’abord, la persistance de la crise
politique, malgré le changement de locataire du palais présidentiel. Elle est
liée à l’absence de feuille de route explicite et partagée par les alliés
politiques et au retard dans la mise en œuvre des ruptures attendues pour ce
qui est de la refondation
institutionnelle et du renouveau démocratique telles que préconisées dans les
conclusions des Assises Nationales. Il y a ensuite la gravité des difficultés
économiques, liées en premier lieu, au pillage effréné des ressources
nationales par les dignitaires du précédent régime, mais aussi à un contexte
international des plus moroses, sans oublier ce qui est de plus en plus perçu
comme une approche trop financière et extravertie des questions économiques, là
où les décideurs nationaux doivent opérer des choix politiques hardis. Enfin,
on note une instabilité sociale occasionnée par le chômage massif des jeunes et
la non satisfaction de la demande sociale héritée des régimes précédents et
aggravée par la gestion calamiteuse des conflits sociaux par un pouvoir libéral
adepte du dilatoire irresponsable et de la corruption effrénée des leaders
syndicaux, avec lesquels il lui arrivait, par ailleurs, de signer des
protocoles d’accords incongrus et irréalistes.
Au terme de douze longs mois de Yoonu Yookuté, il est cependant indéniable
que des actes forts ont été posés.
Sur le plan de la lutte
contre l’impunité, le sentiment général est que plus aucun citoyen n’est
au-dessus de la loi, même si on peut se plaindre de la lenteur des procédures
judiciaires. S’il est vrai que le temps judiciaire est différent de celui
politique, il est clair que l’issue des poursuites initiées contre tous les
dignitaires de l’ancien régime, sans discrimination aucune, dans le cadre de la
traque des biens mal acquis, pèsera lourd, quand il s’agira de juger de la
crédibilité du pouvoir en place. Il y a aussi eu les tentatives d’amélioration
du pouvoir d’achat telles que la réduction ou le gel des prix des denrées de
première nécessité et la baisse de la fiscalité (qui a surtout concerné les
fonctionnaires et employés du secteur moderne). Pour mettre en œuvre son
programme économique et social, le gouvernement d’Abdoul Mbaye a également
décidé de la mise en place de fonds qu’il compte
approvisionner à partir de ressources internes et celles provenant de
partenaires extérieurs. Il s’agit notamment du Fonds de Garantie et
d’Investissements Prioritaires (FONGIP), ciblant principalement les PME/PMI et
du Fonds Souverain d’Investissement Stratégique (FONSIS) destiné aux
″entreprises privées et parapubliques nationales à fort potentiel de
développement″. Mais du fait de leur caractère imprécis, ces deux propositions
semblent plus relever du volontarisme que de la planification rigoureuse.
Comment passer sous silence les grandes initiatives visant la protection
sociale universelle des Sénégalais, qui outre les préalables nécessaires à leur
mise en place, se trouvent plombées par des interférences à fortes connotations
politiciennes et même claniques, alors que toute l’expérience récente
(plan sésame, gratuité des césariennes, gestion de l’IPRES…) montre que sur ces questions éminemment techniques,
l’amateurisme peut s’avérer fatal.
Au terme de ce bilan sommaire, l’impression générale qui semble se dégager
au sein de l’opinion sénégalaise est que, cette année, qui aurait dû être celle
de la transition vers la refondation institutionnelle a surtout été
caractérisée par la prééminence d’actes symboliques et d’effets de manche
politiciens. C’est ainsi qu’en lieu et place des ruptures attendues, la
coalition Bennoo Bokk Yakaar semble vouloir se complaire dans un consensus mou,
un unanimisme grégaire et le refus de critiques constructives contre la
démarche gouvernementale. C’est ainsi que depuis l’annonce de la création d’une
Commission chargée de la réforme des Institutions en septembre 2012, il a fallu
attendre six longs mois, pour qu’elle puisse finalement être mise en place
durant ce mois de mars 2013 et ses premières conclusions sont attendues au plus
tôt en septembre prochain ! Que de temps perdu pour la matérialisation de
conclusions, dont on nous avait dit qu’elles étaient ficelées et prêtes !
Nous devrons, en attendant, nous contenter de la cérémonie de levée des
couleurs présidée, tous les premiers lundis de chaque mois, par le Président de
la République.
On oublie trop souvent,
que nous sommes dans un pays, qui, malgré la pauvreté ambiante, a connu en lieu
et place d’émeutes de la faim, une révolution citoyenne avec comme slogan
″Touche pas à ma Constitution″. Est-il possible d’occulter le magnifique exercice
d’autocritique, d’humilité et de rédemption auquel la classe politique
sénégalaise, dans sa grande majorité,
s’était livrée lors des Assises Nationales ? Une des principales
leçons qu’on devrait en tirer, devrait précisément consister à jeter dans les
poubelles de l’Histoire toute approche clientéliste et politicienne. Il n’est
donc pas possible de cautionner le maintien du présidentialisme obsolète, les
rapports équivoques avec une Assemblée Nationale frappée du péché originel du
marchandage ″quotataire″ et politicien
et l’instrumentalisation des autres Institutions de la République utilisées à
caser une clientèle dévouée. De même, la réunion hebdomadaire du Conseil des
Ministres doit cesser de procéder à la cooptation discrétionnaire et instaurer
l’appel à candidature pour certains postes de la haute fonction publique et du
secteur parapublic, comme le recommande la charte de gouvernance démocratique.
Enfin, la promotion de la transhumance, pour massifier le parti présidentiel,
est tout simplement devenue intolérable.
C’est pourquoi, la question la plus urgente et la plus facile à régler –
pourvu que la volonté politique existe – demeure la matérialisation effective
des conclusions des Assises Nationales. Cela permettra un renouveau éthique,
meilleur gage pour l’instauration d’une
bonne gouvernance et d’une véritable émergence économique !
Dr Mohamed Lamine LY
Médina - Rassmission
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