HOMMAGE A SEMOU, A L'OCCASION DU QUATRIÈME
ANNIVERSAIRE DE SA DISPARITION
A l’occasion du quatrième anniversaire du décès de notre camarade Sémou
Pathé Guèye, nous vous livrons une de ses contributions faite lors d’un
colloque de la Fondation Gabriel Péri, qui s’est tenu les 24, 25 et 26 janvier
2008 à Dakar et qui avait pour thème : ″Afrique et Europe : néocolonialisme ou partenariat ?″. Il y
traitait de la conception sarkozienne de l’Afrique, ressentie sur le continent
comme un racisme larvé. Sémou en dénonçait l’approche politicienne, qui flatte
les électeurs du président, en particulier ceux d’extrême-droite.
L’une des
préoccupations qui sous-tend l’organisation de la présente rencontre, pour les
chercheurs du moins, c'est l’accumulation d’éléments qui puissent être
exploités pour jeter les bases d’une prospective africaine, c’est-à-dire d’une
science du futur africain qui renverse la perspective en pensant désormais le monde
à partir de l’Afrique et non l’inverse. Cela signifierait pour la pensée
politique et sociale africaine une révolution copernicienne, pour ne pas dire
une révolution épistémologique.
C’est dans
cette perspective que je me suis proposé d’analyser le discours prononcé il y a
quelques mois à Dakar par le président de la République française Nicolas
Sarkozy.
Ce discours,
on le sait, avait en son temps suscité – et continue à susciter – beaucoup de
débats empreints d’indignation. Des intellectuels africains lui ont, par
exemple, reproché d’avoir été inspiré par le mépris culturel, par un certain
racisme dont il croit pouvoir trouver l’inspiration dans les Leçons sur la philosophie de l’histoire de Hegel.
L’interprétation
de ces lignes du philosophe allemand qui fait de ce dernier un raciste ne
résiste pas à une confrontation sérieuse avec l’ensemble de son projet
philosophique.
Ce n’est pas
le lieu d’en débattre. Je voudrais plutôt dire pourquoi il faudrait aller
au-delà de cette lecture, somme toute primaire, du discours du président
Sarkozy pour pouvoir en saisir la véritable signification historique car,
derrière celui-ci, se profile en filigrane l’esquisse d’un nouveau contexte
géopolitique qui influence beaucoup la manière dont la France se situe
désormais dans le monde et conçoit ses rapports avec lui. Pour aller vite,
c’est le discours d’un pays dont l’apparente richesse actuelle masque la
réalité d’une puissance en voie de décadence, obligée pour cette raison de
renoncer à ses antiques prétentions impériales pour se comporter de plus en
plus en relais et en appendice de l’hégémonie mondiale des États-Unis.
Vue sous cet
angle, la politique africaine de la France telle qu’elle s’exprime à travers ce
discours qui s’est voulu de rupture, reflète les mutations historiques
suivantes :
-
l’épuisement de la rente de situation politique et surtout économique que son
passé colonial valait à l’Afrique ;
- les effets
des politiques néocoloniales pratiquées après l’indépendance qui ont non
seulement démobilisé les peuples africains en gaspillant leur potentiel de
développement, mais aussi découragé les couches sociales européennes qui
étaient les plus favorables au continent ;
- l’accession
au pouvoir en France et en Europe d’une nouvelle génération d’hommes politiques
qui n’a pas connu la colonisation et ne se sent donc pas concernée par les
crimes et les fautes qui donnaient mauvaise conscience à leurs parents, ni le
sentiment que l’Afrique était victime d’elle-même, des facéties de ses
dirigeants comme Bokassa et Idi Amine Dada qui gaspillaient l’aide en la«
planquant » dans des banques européennes. Pendant ce temps, le chômage prenait
des proportions de plus en plus importantes qui rendaient la jeunesse européenne
impuissante et servait de terreau au développement de la xénophobie et au
renforcement du poids politique des forces de droite et d’extrême-droite.
Il était dès
lors plus avantageux politiquement pour ces gouvernants de satisfaire cette
jeunesse que de respecter la promesse minimale faite en matière d’aide publique
au développement.
- la remontée
en puissance d’une droite résolument atlantiste, tournant de plus en plus le
dos à la politique gaullienne d’indépendance ;
- une fausse
lecture de la situation de l’Afrique elle-même.
Le président
Sarkozy s’est adressé à une Afrique symbolisée, entre autres, par le scandale,
il est vrai désolant, d’une jeunesse qui ne rêve que d’Europe et qui, au prix
de sa vie, fait tout pour gagner les côtes européennes, synonymes pour elle
sinon d’Eldorado, du moins de planche de salut. En d’autres termes, une Afrique
qui après de longs siècles de domination et d’exploitation serait terrassée,
désabusée, sans espoir, une Afrique soumise. Mais si l’Afrique, c’est une jeunesse
qui souffre, c’est aussi un continent qui lutte conjointement aux efforts que
les peuples déploient quotidiennement pour leur développement. Cette Afrique
n’a pas attendu le nouveau président français pour comprendre la nécessité de
se prendre en charge pour bâtir son propre avenir. En d’autres termes, le
président Sarkozy a été aveuglé sur la réalité de la seconde Afrique par celle,
il est vrai plus manifeste, de la première.
Il s’est
également trompé d’Afrique pour la raison suivante : l’Afrique a certes
toujours besoin de l’Europe dans le contexte d’un monde qui est déjà et qui
sera de plus en plus interdépendant. Elle continue d’en avoir besoin en matière
d’investissements, de marchés pour exporter ses produits et de l’acquisition de
réalisations scientifiques et technologiques qu’elle n’est pas encore capable
de produire elle-même. Mais c’est aussi désormais un nouvel enjeu
géostratégique, objet de convoitise entre autres à cause de l’immense marché
qu’elle est censée devenir. L’Afrique a une marge de manœuvre, une capacité de
souveraineté accrue dans ses rapports avec l’Europe. On peut moins facilement
la faire chanter et lui imposer des diktats.
Autrement
dit, l’Afrique a et aura de moins en moins besoin de l’Europe ; la réciproque
n’est pas vraie pour quatre raisons.
Le
vieillissement démographique de l’Europe fait que celle-ci a déjà besoin de
main d’œuvre africaine pour faire tourner son économie.
Les énormes
ressources naturelles, le pétrole et demain l’eau, dont elle dispose font de
l’Afrique un continent d’importance stratégique pour le monde de demain.
L’Europe ne
peut gagner sa concurrence avec les États-Unis et les autres puissances
émergentes, notamment la Chine, qu’en construisant avec l’Afrique un
partenariat gagnant-gagnant. L’Afrique, à tout le moins ses forces porteuses
d’avenir, se tourne de moins en moins vers l’Europe, et ce n’est pas en Asie ou
en Amérique latine que l’Europe pourrait trouver une solution.
De ce point
de vue, la nouvelle politique d’accueil d’étudiants adoptée par la France est
absurde, puisque les universités européennes, et françaises en particulier,
sont nettement moins bien classées que leurs homologues américaines et
asiatiques. En matière de savoir, l’Europe est de moins en moins attractive,
surtout pour les continents comme l’Asie où émergent déjà des pôles de
développement universitaire et scientifique en Chine et au Japon.
L’absurdité
qui consiste à serrer la vis aux étudiants africains en espérant pouvoir gagner
plus d’étudiants asiatiques par une immigration sélective, est donc une
illusion qui procède justement de cette méprise dont j’ai parlé tout à l’heure.
Aujourd’hui, les forces vives africaines se tournent de plus en plus vers les
États-Unis et l’Afrique plutôt que vers l’Europe. Ce sont les commerçants, les
hommes d’affaires qui cherchent des opportunités et c’est faute de mieux que,
les forces les plus dynamiques dans notre continent se tournent vers l’Europe
et plus particulièrement vers la France.
Trois
conclusions peuvent être tirées de ce qui précède.
- La première est qu’il n’y a d’alternative pour l’Europe, ambitionnant de garder sa place dans le nouveau contexte géopolitique mondial, qu’en sachant construire un nouveau partenariat avec l’Afrique, un partenariat fondé sur une politique de coopération inspirée par le principe de respect mutuel, d’avantages réciproques et de solidarité. Cela passe par la modification du schéma actuel des relations internationales, enjeu important de lutte qui ne se fera pas de soi-même.
- La deuxième est que le futur de l’Afrique est moins sombre, tant en matière de renforcement de son coefficient d’indépendance que de développement économique et social, que ne le laisse croire sa situation actuelle.
- Enfin, la possibilité d’un futur meilleur pour l’Afrique passe par la mise en œuvre de modes de gouvernance des sociétés africaines qui soient en mesure de libérer les énergies créatrices des peuples du continent. C’est tout l’enjeu de la lutte actuelle pour la démocratie. Une démocratie qui non seulement soit capable de permettre aux peuples africains de prendre leur destin en mains mais également d’être de véritables ferments d’un développement économique et social orienté vers la satisfaction des besoins fondamentaux de ses peuples.
Sémou Pathé Gueye, Professeur de
philosophie à l’UCAD de Dakar,
Membre du Conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri
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