Les
autorités sanitaires ont tenu, au cours des derniers mois, plusieurs
réunions en vue d’élaborer la contribution du Ministère de la Santé et
de l’Action sociale (MSAS) à l’acte 3 de la décentralisation. Les
propositions des fonctionnaires du ministère de la Santé, si elles sont
prises en compte, vont aboutir à l’affaiblissement des systèmes locaux
de santé et à l’abandon de la stratégie des soins de santé primaires
(SSP).
Malgré
l’absence de communication des pouvoirs publics sur l’acte 3,
(caractérisé depuis le début par l’opacité dans sa conception et la
précipitation dans sa mise en œuvre) et dans l’attente désespérée des
arrêtés d’application, il est permis de penser que les mesures
envisagées seraient les suivantes :
- Les postes de santé et centres de santé vont être gérés par leurs communes d’implantation,
- Les EPS1 et les EPS2, auparavant gérés par les Conseils régionaux supprimés par l’acte 3, devraient désormais être gérés par les Villes ou les Conseils départementaux, dont les Présidents devraient présider les conseils d’Administration,
- Il serait envisagé la suppression des districts, qui seraient remplacés par des services départementaux de la Santé et de l’Action sociale, dans le souci de répondre à la nouvelle Collectivité locale qu’est le Département,
- Ces services départementaux seraient dirigés par des fonctionnaires de la hiérarchie A ou assimilés, qui ne devraient plus être obligatoirement des médecins, dans un souci de « démédicaliser » la Santé,
- Il a également été suggéré de séparer les fonctions de soins et de gestion, ce qui se traduirait par la suppression du cumul des fonctions de médecin-chef de district (ou chef du service départemental de la Santé et de l’Action sociale) et de médecin-chef du centre de santé de référence,
- Les comités de santé, organes de participation communautaire, devraient disparaître et devraient être remplacés par des comités de développement de la Santé,
- Il a été évoqué la possibilité d’ériger les centres de santé en établissements publics de santé de niveau 1 (EPS1)
Ces
mesures qui ne semblent présenter aucune cohérence entre elles, ont
occulté l’évaluation des lois sur la décentralisation de 1996.
Par
ailleurs, le projet d’ériger les centres de santé en établissements
publics de santé couplé à la volonté de supprimer les districts
sanitaires conduirait à transposer la crise hospitalière au niveau du
système de santé local et sonnerait le glas de la stratégie des soins de
santé primaires.
L’ERECTION DES CENTRES DE SANTE EN EPS1
Tout
le monde se rappelle du décret n°2010-774 du 15 juin 2010, qui a
consacré l’érection des centres de santé de référence de 10 districts
sanitaires en Etablissements Publics de Santé (EPS) de Niveau1
(Guédiawaye, Rufisque, Touba, Tivaouane, Mbour, Linguère, Kaffrine,
Richard-Toll , Sédhiou et Dakar-Sud).
Les
pouvoirs publics avaient, à l’époque, avancé, entre autres, le
prétexte de renforcement du parc hospitalier national. Or, le système
hospitalier était et reste plongé dans une crise profonde. Il faut dire
que jusqu’au milieu des années 90, le système hospitalier sénégalais
battait de l’aile, victime de la pesante tutelle de l’administration
centrale avec une détérioration de la qualité des soins à cause de
plateaux techniques obsolètes, de ruptures de stock de médicaments,
consommables et réactifs, de conditions d’hôtellerie désastreuses…
C’est
à cause de lourdeurs administratives et d’entorses dans les procédures
de gestion dans les hôpitaux que la Réforme Hospitalière avait été
initiée. En effet, ces travers ont conduit à une inefficacité
budgétaire, faisant reposer l’essentiel des dépenses de santé sur les
ménages, même dans le secteur dit public. Cela conduisit à l’adoption,
en 1998, de la loi portant réforme hospitalière et celle relative à la
création, à l’organisation et au fonctionnement des établissements
publics de santé.
La
Réforme hospitalière avait pour ambition de combiner l'exigence du
service public avec l'esprit d'entreprise propre au secteur privé.
Or,
la première fausse note de cette nouvelle réforme hospitalière a été le
recrutement d’un personnel pléthorique, sur la base de considérations
clientélistes, ce qui allait entraîner des effets pervers avec une
insuffisance des personnels qualifiés, l’augmentation vertigineuse de
personnels non qualifiés et l’explosion de la masse salariale.
C’est
ainsi que, malgré cette réforme, la crise du système hospitalier ne
connut aucune accalmie mais plutôt une aggravation manifeste, se
traduisant par des grèves cycliques.
Les
difficultés étaient liées à un endettement sans précédent des hôpitaux
du principalement à de ruineuses politiques de gratuité (plan sésame),
mais aussi à des dépassements budgétaires de triste mémoire au niveau
des EPS.
Malgré
tous ces travers qui avaient donné lieu à une grande Concertation
Nationale sur le système hospitalier, les autorités du Ministère en
charge de la Santé se refusent encore à réformer la Réforme Hospitalière
et persistent dans l’erreur, en projetant d’élargir le parc hospitalier
national au détriment des districts sanitaires.
En
réalité, certains décideurs semblent trouver leur compte dans le
fonctionnement de ces établissements publics de santé accusés de jouir
d’une autonomie de gestion excessive, en y plaçant leurs obligés comme
directeurs, sous l’œil complaisant de conseils d’administration
ressemblant à s’y méprendre à des caisses de résonnance.
NECESSITE D’ADAPTER LE SYSTEME DE DISTRICT
Il
faut rappeler, qu’après la conférence d’Alma-Ata de 1978, le concept de
district sanitaire sera légitimé à la conférence de l’OMS tenue du 3 au
7 août 1987 à Hararé (Zimbabwé).
La
déclaration issue de ces assises insistait sur le renforcement du
district de santé basé sur les soins de santé primaires. Cela impliquait
entre autres une approche décentralisée de la gestion des ressources et
du processus de planification ainsi que la promotion de la
participation communautaire et de l’intersectorialité.
Créé
principalement pour combattre l’exclusion des larges masses populaires
de l’accès aux soins de santé, même les plus banals, le système de
district, ambitionnait, dans la droite ligne de la conférence
d’Alma-Ata, d’atteindre l’ambitieux objectif de la « Santé pour Tous »,
en mettant en œuvre les principes d’équité, d’efficacité, d’efficience,
d’autonomie et de solidarité.
La
phase ascendante du système de santé de district allait être
interrompue au milieu des années 90, quand survinrent les fameuses lois
de la décentralisation, qui allaient consacrer le transfert de la
compétence Santé aux collectivités locales, lesquelles n’avaient pas, à
l’exception notable de la Ville de Dakar, les capacités
technico-administratives pour gérer leurs nouvelles prérogatives.
C’est
ainsi que les comités de gestion censés permettre la mise en œuvre
pratique du transfert de la compétence Santé n’ont pratiquement pas
fonctionné depuis l’adoption des lois de la décentralisation de 1996. De
plus, on a pu observer de sérieux dysfonctionnements (retard ou absence
totale d’exécution) dans la mise à disposition des budgets
décentralisés au niveau des structures de santé.
Malgré
la contribution remarquable des systèmes de santé de district à
l’accessibilité des masses populaires aux soins essentiels, force est de
constater que certaines insuffisances ont été notées surtout pour ce
qui est de la prise en charge des maladies non transmissibles, des
urgences médicales, chirurgicales et gynéco-obstétricales et aussi en
rapport avec la qualité des soins.
Cet état de fait est lié aux facteurs suivants :
- Le déficit de personnels qualifiés particulièrement marqué en zones suburbaine et rurale avec une pléthore d’agents de santé communautaires ;
- La difficulté pour les médecins-chefs de district de combiner les activités préventives et de santé publique avec celles en rapport avec les tâches quotidiennes de prise en charge de soins hospitaliers de qualité
- Le manque d’équipements et de matériel biomédicaux
- Les dysfonctionnements du système d’orientation-recours dus à des structures privilégiant des critères de rentabilité financière sur ceux en rapport à l’accès universel à des soins de qualité,
- Le désengagement de l’Etat, le plus souvent lié à des plans d’ajustement structurel inspirés par le FMI et la BM
- La réticence des médecins à exercer dans les zones rurales
- Les faibles capacités des collectivités à réaliser leur propre vision.
Concernant
les enjeux du financement de la Santé et face à la flambée des coûts
auxquels le système de santé doit faire face, l’OMS préconise la mise en
place d’une Couverture Sanitaire Universelle, qui dans nos pays
comporte une forte composante mutualiste et communautaire.
Si
on admet que la couverture sanitaire universelle doit être couplée à la
lutte contre la pauvreté et l’exclusion et qu’il y a nécessité d’agir
sur les déterminants sociaux (eau potable, assainissement, disponibilité
alimentaire, habitat décent…), il devient évident qu’affaiblir les
districts sanitaires, clés de voûte de l’approche multisectorielle en
santé, revient à compromettre la réussite de la couverture sanitaire
universelle.
QUELLES PERSPECTIVES POUR LE DISTRICT SANITAIRE ?
Malgré
ces insuffisances, il convient de rappeler que la conférence
d’Ouagadougou en 2008 a confirmé que la stratégie du district sanitaire
demeurait plus pertinente que jamais. Il faudrait cependant l’adapter au
nouveau contexte marqué par la couverture sanitaire universelle. La
nécessité d’œuvrer pour la santé communautaire a été réaffirmée,
particulièrement dans les milieux dépourvus en ressources confrontés
aux problèmes d’équité et d’accessibilité aux soins les plus aigus.
Il
faudra, plus que jamais, veiller au renforcement des systèmes locaux de
santé, à l’autonomisation des communautés, ménages et individus qui, de
concert avec les professionnels de la santé, jouent un rôle dans la
production de la santé.
Seule
la stratégie de district permet de responsabiliser les communautés dans
la gestion de leur santé, qu’il s’agisse de combattre les maladies
transmissibles aiguës ou chroniques ou de prévenir la survenue
d’affections non transmissibles et maladies à soins coûteux.
Il
ne faut cependant pas perdre de vue la possibilité qu’ont les usagers,
surtout en milieu urbain, de choisir les services qui leur conviennent,
en faisant abstraction des limites administratives. Cette nouvelle donne
interpelle particulièrement les prestataires appelés à faire preuve de
davantage de réactivité, d’autant que l’offre de services est de plus en
plus diversifiée (structures publiques, privées, informelles,
non-gouvernementales, confessionnelles, paramilitaires,
d’entreprises…etc.).
Il
y a nécessité d’adapter district sanitaire en milieu urbain, en raison
de la diversité de l’offre de services. Cela va nécessiter
l’harmonisation des interventions des différents acteurs appelés à
s’approprier des objectifs du PNDS.
C’est
cela qui justifie l’adoption par les districts sanitaires de diverses
stratégies plus ou moins nouvelles (stewardship, supervision, signature
de convention, financement basé sur les résultats…).
La
coordination entre les différents acteurs (SDSAS, collectivités
locales, communauté) va être rendue plus difficile par l’éclatement des
pouvoirs de décision : service départemental de la santé et de l’action
sociale, préfecture, département en tant que collectivité locale,
établissements publics de santé en lieu et place des centres de santé,
postes de santé…
La
suppression envisagée des comités de santé va compromettre
l’autonomisation des communautés, ménages et individus, d’autant que la
représentation des usagers, telle qu’elle se fait actuellement est loin
de répondre à des normes et principes démocratiques. Il s’agit, le plus
souvent, d’une cooptation discrétionnaire de membres d’organisations
sans véritable assise locale.
Il
serait, à cet égard, intéressant, d’explorer la voie de l’hôpital de
district, considéré comme un établissement faisant partie d’un système
complet de soins, le district sanitaire. Son rôle résulte de la
répartition des tâches au sein du district et il sert de structure de
référence aux postes de santé, aux centres de santé secondaires, aux
structures privées confessionnelles…etc.
Il
peut, dans le cadre du renforcement des soins de santé primaires et de
la promotion de la santé communautaire, servir de moteur au district
sanitaire animé par une équipe-cadre, des infirmiers chefs de postes,
assistés de comités de santé et d’organisations communautaires de base.
Des
structures telles que les centres de santé de référence des districts
de Dakar (Philippe Maguilen Senghor, Nabil Choucair, Gaspard Kamara,
Youssou Mbargane Diop) offrant une gamme de services médicaux,
gynéco-obstétricaux et de petite chirurgie, à côté de leur rôle de mise
en œuvre et de supervision des SSP remplissent toutes les conditions
pour devenir non pas des EPS mais des hôpitaux de district.
Dans
ces hôpitaux de district dirigés par des cadres médicaux, il pourrait
exister un agent comptable particulier et un Conseil d’Administration,
présidé par le Chef de la Collectivité locale concernée, dans lequel les
acteurs locaux (dont les comités de santé qui devraient se désengager
de la gestion financière) seraient mieux représentés aux dépens de
personnalités qualifiées cooptés sur des bases obscures et de
bureaucrates partisans de la routine administrative.
Les
pouvoirs publics devraient revoir les modalités du transfert de la
compétence Santé à des Collectivités Locales piégées par la politique
politicienne et l’électoralisme primaire et qui doivent encore faire
l’apprentissage d’un véritable développement local.
Dr Mohamed Lamine LY
Médina-Rasmission
- Déclaration de Ouagadougou sur les soins de santé primaires et les systèmes de santé en Afrique : Améliorer la santé en Afrique au cours du nouveau Millénaire ; La Conférence internationale sur les Soins de Santé primaires et les Systèmes de Santé en Afrique
- Renouveler la stratégie du district sanitaire pour faire avancer la Couverture Sanitaire Universelle en Afrique; Conférence de Dakar - Health for Africa
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