LES INITIATIVES DE
GRATUITE VONT ELLES PLOMBER LA CMU ?
En parlant de
couverture maladie universelle, certains
techniciens du ministère de la Santé et de l’Action Sociale insistent
davantage sur la facilitation de l’accès des populations aux services de santé,
en minimisant la question du financement, qui est au cœur de la problématique.
Or, il va de soi qu’une condition essentielle d’atteinte des OMD et de
mise en œuvre progressive de la CMU est l’augmentation significative du
financement dévolu à la santé. On ne peut, dès lors, que déplorer le fait que
la part du budget national réservée au secteur de la Santé n’atteigne pas
encore les 15%, conformément à l’engagement des pays membres de l’Union
Africaine au sommet d’Abuja en 2001. C’est la raison pour laquelle, les travailleurs de la Santé restent
sceptiques devant l’extension des ruineuses initiatives de gratuité à de
nouvelles cibles (enfants de 0 à 5ans) et à de nouvelles zones géographiques
(département de Dakar pour les césariennes). Ces nouvelles mesures ainsi que le
plan Sésame risquent de conduire à un échec programmé de la couverture maladie
universelle, pierre angulaire de la politique sanitaire du gouvernement
sénégalais, depuis l’accession du président Macky Sall à la magistrature
suprême.
DES ETABLISSEMENTS DE SOINS CONFRONTES A DE
SERIEUSES DIFFICULTES FINANCIERES
En effet, il est de notoriété publique que les structures sanitaires de notre pays sont
confrontées, depuis plusieurs années à d’énormes difficultés de financement. La
gestion des hôpitaux publics, encore appelés établissements publics de santé,
subit les contrecoups d’une mauvaise allocation budgétaire ne reposant pas sur
des critères rigoureux, d’une masse salariale colossale, d’un système
indemnitaire onéreux et d’initiatives telles que le plan sésame ou la gratuité
des césariennes, à l’origine de l’immense dette hospitalière, qui reste à être
résorbée. En outre, depuis la réforme de décentralisation de 1996, les
structures sanitaires peinent à disposer
de leurs fonds de dotations logés au niveau des collectivités locales. Il faut
également signaler que certains centres de santé, tels que ceux dépendant de la
Ville de Dakar ne disposent même pas de
budget de fonctionnement propre et doivent se contenter d’une dotation annuelle
en médicaments d’au plus trois millions, si on fait abstraction des produits
d’entretien et matériel de bureaux soustraits des fonds de dotation des
districts.
En 2005 déjà, l’étude
de la structure du financement
du système de santé révélait qu’elle était dominée par les fonds privés dont les 9/10 provenaient des
ménages. Elle montrait également que les fonds publics ne constituaient que 36%
de la totalité des fonds dévolus à la Santé, à côté des fonds privés et ceux
provenant du reste du monde.
Toutes ces contraintes
(non disponibilité des budgets, non maîtrise des dépenses) ont conduit à une
situation paradoxale, où l’apport de l’Etat, qui était prédominant dans le
financement du Secteur, tend de plus en plus à être supplanté par les recettes
issues de la participation des populations à l’effort de santé, qui tendent à être majorées pour pallier les
défaillances de l’Etat.
Cela démontre à suffisance
le caractère insignifiant des ressources allouées par l’Etat pour le
fonctionnement des structures sanitaires, qui ne survivent que grâce aux fonds
provenant des recettes issues de la participation financière à l’effort de
santé et à l’esprit d’initiative des responsables en charge des établissements
de soins.
DES INITIATIVES POUR REMEDIER AUX DEFAILLANCES DE
L’ETAT CENTRAL
C’est ainsi que pour
remédier aux manquements de l’Etat central, les équipes de district et de
centres de santé ont pris diverses initiatives (recrutements de personnels vacataires, acquisition d’équipements médicaux,
achat de médicaments de spécialités non disponibles au niveau de la pharmacie
IB, voire travaux de génie civil) sur la base des recettes générées par le
fonctionnement des structures et gérées par les comités de santé. Cela a permis
de relever très sensiblement le plateau technique de plusieurs centres de
santé, en y instituant des consultations spécialisées (cardiologie, pédiatrie,
urologie, ORL, ophtalmo…), ce qui n’entre pas dans le cadre des prérogatives
qui leur sont attribuées. Par ailleurs, dans le domaine de la santé maternelle,
le fonctionnement de blocs opératoires prenant en charge les césariennes n’a
été possible dans les centres de santé que grâce à un mécanisme de recouvrement
de coûts permettant de contractualiser avec des personnels supplémentaires,
d’acquérir dans le privé des intrants et des médicaments d’urgence pour
renforcer les kits, sans oublier l’achat de l’oxygène.
Les initiatives de
gratuité, FAUSSE SOLUTION A DE VRAIS PROBLEMES
Même si dans le
principe, les initiatives de gratuité peuvent effectivement contribuer à
faciliter l’accès des populations aux soins, il faut reconnaître qu’elles
doivent s’intégrer dans un contexte global, où les budgets dévolus à la santé
parviennent aux structures et permettent
de faire face aux dépenses essentielles de fonctionnement des structures, ce
qui est loin d’être le cas actuellement. Il faudra également éviter de
sous-estimer la charge de travail et les frais d’administration liées à ces
initiatives de gratuité (saisie, photocopie) dont se plaignent de plus en plus
les infirmiers-chefs de poste, surveillants et majors de services. Il convient
également de déplorer l’absence de concertation dans la détermination des
tarifs de prestations, alors même qu’il est prévu la signature de conventions
entre les autorités administratives d’une part et les représentants des comités
de santé ou des établissements publics de santé de l’autre.
Dans le passé, les responsables des structures de
santé ont fait l’amère expérience de promesses de remboursement non tenues (par
défaut de liquidités au niveau du
Ministère des Finances), comme le confirme le retard à la résorption totale de
la dette hospitalière depuis quelques années. Concernant les césariennes et le
plan Sésame (pour les centres de santé), les remboursements se font tardivement
(ou pas du tout) et sous forme de médicaments ou de kits ″dévalués″, ne
répondant pas aux normes usuelles.
Autant dire que ces
initiatives de gratuité désarticulées risquent de plomber le fonctionnement des structures sanitaires
et de compromettre la mise en place d’une véritable assurance santé. En effet,
seule une réforme profonde des modalités
de financement du système sanitaire telle qu’elle peut être réalisée avec la couverture
maladie universelle, qui prône la mise en place d’un système mutualiste,
pourrait permettre de rétablir l’équilibre budgétaire d’établissements de
soins, dont la plupart sont déjà endettés, leur permettant alors de faire face
à leurs multiples charges (motivations des ASC, salaires des techniciens
vacataires, achat de médicaments, de réactifs de laboratoires, d’anesthésiques,
d’oxygène …).
Cette hantise de la
gratuité, aux relents populistes et politiciens
remonte au discours présidentiel à
la Nation du 03 avril 2006, à la
veille des élections présidentielles de 2007 et fut marquée par l’annonce de la
gratuité des soins pour les personnes âgées de plus de 60 ans.
Et pourtant, les exemptions de paiement ont toujours eu cours dans le
système sanitaire sénégalais. L’article 8 du décret 60-245, portant réglementation des secours
dans la République du
Sénégal, définit le
secours-maladie comme étant «une aide au remboursement des frais médicaux et
pharmaceutiques lorsque ceux-ci sont hors de proportion avec les ressources du
demandeur et que ce dernier ne bénéficie pas d’autre part d’une assistance
médicale ».
Plus tard apparurent les certificats
d’indigence, délivrés par autorités administratives compétentes, de même que
les Maires des communes, qui donnaient droit à des exemptions de paiement au
niveau des structures publiques de santé.
Plus récemment, la loi
N° 96-07 sur la décentralisation a donné
aux collectivités locales la compétence pour tout ce qui a trait à
l’organisation et à la gestion des secours au profit des nécessiteux et créé
une ligne budgétaire pour cette rubrique, qui ne concerne certes pas uniquement
la santé.
Enfin, la Direction de
l’Action Sociale a mis en place, depuis 2003, une rubrique budgétaire utilisée
comme fonds de solidarité pour assistance aux cas sociaux. Elle a signé, à cet
effet, des conventions de prestations avec la quasi-totalité des grands
hôpitaux nationaux.
Dans les structures
sanitaires elles-mêmes, des dispositifs sont mis en place pour assister les
personnes les plus démunies. Ainsi, les services sociaux des hôpitaux disposent
d’un budget leur permettant de prendre en charge tout ou partie des dépenses de
prestations des patients identifiés comme cas sociaux. Pour les centres de
santé et les postes de santé, une note de service n°006058/MSPM/DS/DSSP du 6
septembre 2005 rappelle une disposition du guide national du comité de santé qui stipule, que 10% des
recettes issues des prestations doivent être réservées à la prise en charge des
cas sociaux et que 5% des bénéfices réalisés sur la vente de médicaments doivent être affectés à la solidarité.
Le plan Sésame, doté
d’une enveloppe financière de moins d’un milliard, bien qu’accueilli avec
enthousiasme, par les personnes du troisième âge, marquera une nouvelle étape
dans la précarisation du financement du système sanitaire déjà soumis à rude
épreuve par le transfert des fonds de dotation aux collectivités locales. Il a
été reproché à ce plan un défaut de
ciblage. Dans les faits, les personnes âgées des centres urbains auraient davantage
bénéficié de cette initiative que celles du monde rural à l’intérieur du pays.
Plus grave, les retraités du FNR et ceux de l’IPRES, de riches commerçants et
hommes d’affaires, des diplomates retraités, des émigrés disposant
d’assurance-maladie privée auraient été plus nombreux à solliciter le plan
Sésame par rapport aux artisans, pêcheurs, paysans, pasteurs et autres
personnes à leurs frais.
La délivrance des
lettres de garantie et des bulletins de
référence relève des médecins-chefs de district alors qu’ils ne disposent
d’aucun moyen d’identification des bénéficiaires, qui sont le plus souvent
suivis et traités par des spécialistes officiant dans les hôpitaux de niveau 3.
Le flou artistique
entretenu sur la question du ciblage, le non-respect de la pyramide sanitaire
et des zones de responsabilité laissent la porte ouverte à toutes sortes d’abus
et de fraudes, dont les autorités ministérielles semblent royalement se
désintéresser.
Le plan Sésame, la
gratuité des soins pour les enfants de 0 à 5 ans et la généralisation de la
gratuité des césariennes partent, certes, de nobles intentions, à savoir la réduction des obstacles financiers aux soins de santé
pour les personnes âgées, la mère et l’enfant avec l’espoir de faire baisser la
mortalité des personnes âgées ainsi que celles maternelle, néonatale et
infantile. Mais elles se révèlent onéreuses, car il
s’agit de prodiguer quotidiennement des soins gratuits à plus de 25% de la
population générale, qui se trouve précisément être celle qui fréquente le plus
les structures sanitaires (personnes âgées de plus de 60 ans, les enfants de
moins de cinq ans et les femmes enceintes), sans aucune garantie de
recouvrement de fonds, car l’exemple du plan Sésame est là pour montrer qu’il y
a toujours un net décalage entre les déclarations officielles et la réalité des
faits.
LA SEULE VRAIE SOLUTION RESIDE DANS LE DEVELOPPEMENT
DE LA MUTUALITE ET DES AUTRES FORMES D’ASSURANCE-MALADIE.
Il est évident, au-delà des ″retombées politiques″ attendues à court
terme, qu’un accès à des soins de santé promotionnels, préventifs, curatifs et de rééducation est conditionné par
un système de financement adéquat, permettant aux usagers de bénéficier du
maximum possible de soins dont ils ont besoin, au moment voulu. Occulter cette
réalité risque, dans le meilleur des cas, de faire de la CMU unanimement
appréciée par la communauté nationale, une sorte d’initiative plus ruineuse que
profitable, en somme, une sorte d’éléphant blanc. Mais plus grave, les acquis
engrangés par le système national de santé pourraient même être remis en cause
et conduire à une détérioration des principaux indicateurs de santé, nous
éloignant de l’atteinte des OMD.
C’est pourquoi, la
seule solution d’avenir consistera à
mettre en place des mutuelles qui cibleront prioritairement les acteurs du secteur informel et/ou habitants des
quartiers populaires ou des villages, qui souffrent le plus d’exclusion par
rapport à l’accès aux soins. Il faudra également s’atteler à développer une
« culture mutualiste », à contre-courant des
réflexes de « délégation de pouvoir » entretenus au sein des masses
populaires, depuis l’accession de notre pays à la souveraineté nationale. Il
s’agira aussi développer les relations entre les mutuelles de santé et les
prestataires de soins d’une part et les élus locaux de l’autre. Il faudra
saisir l’opportunité de la départementalisation prochaine pour une mise en
réseau des mutuelles dans le cadre de la
mise en œuvre du Projet ‘’Décentralisation et extension de la couverture
maladie (DECAM), permettant une prise
en charge des gros risques (hospitalisation,
radiologie, analyse …).
Il doit être clair,
pour les pouvoirs publics, que le développement du mouvement mutualiste na
saurait obéir à des injonctions ministérielles ou présidentielles, mais devrait
plutôt reposer sur des principes tels que "la solidarité, le
fonctionnement démocratique et participatif, l’autonomie et la liberté, l’épanouissement
personnel, le but non lucratif et la responsabilité". Il s’agit d’un
mouvement social, dont les membres sont engagés dans un processus de
développement individuel et collectif.
Il doit donc s’intégrer
dans un mouvement d’ensemble de responsabilisation des communautés de base, qui
transcende les échéances électorales et les basses préoccupations
électoralistes.
Dr Mohamed Lamine LY
Médina-Rassmission
Références :
- Cellule d’appui au financement de la sante et au partenariat (CAFSP) : Comptes nationaux de la santé du Sénégal ; année 2005
- Concertations Nationales sur la Santé et l'Action Sociale : Prise en charge des indigents et des groupes vulnérables
- Mutuelle de Santé Régionale de Sikasso : Introduction à la mutualité de santé
- STEP : Guide de gestion des mutuelles de santé en Afrique
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