vendredi 28 février 2014

LE PANTALON DE MORIBA




LE PANTALON DE MORIBA
Par Bassirou Selemane NDIAYE

« L’imbécile regarde le doigt quand le sage lui montre la lune » ! Ce proverbe chinois n’est pas seulement vrai en Chine. Il est donc inutile d’aller à Pékin pour s’en assurer. On peut même dire que c’est une vérité universelle.
Mais alors, qu’est donc est allé faire d’autre, le Gladiateur au pays de Mao Tse Dong où ses déclarations inappropriées sur les questions strictement nationales montrent qu’il ne voit pas au-delà du doigt du Patriarche ?
Au lendemain de la remise officielle du document de travail de la commission présidée par le Patriarche, nous étions nombreux à douter des propos d’un journal local qui attribuait au Gladiateur des confidences indignes d’un démocrate : « Je ferai ce que je veux des conclusions de la commission nationale !» Beaucoup de concitoyens de Goorgorlu avaient juré que cette phrase malheureuse ne pouvait pas sortir de la bouche d’un « Président de rupture ».
       Vingt ans avant lui, un géant de notre histoire (ne serait-ce que par sa taille), qui s’était longtemps battu pour défendre « le meilleur code du monde » avait dit du haut de sa légitimité : « je jure de ne pas changer une seule virgule du texte consensuel ».
       Mais l’espoir fut de courte durée. Quarante huit heures plus tard, amis, sympathisants et simples démocrates constatent avec amertume que les propos indésirables étaient publiquement tenus par le Gladiateur  en plus d’une leçon de morale à tout un peuple, et tout ça à des milliers de kilomètres du théâtre national. « Je prendrai dans son contenu ce que je jugerai bon. Dans tous les pays, c’est de cette façon que les choses marchent ». Même en Chine, sommes-nous tentés de demander ? En tout cas, pour un tel exercice, l’auditoire-cible, était certainement loin, très loin de la Chine.
       Ce qui est bon pour le Gladiateur n’est pas forcément bon pour Gorgorlu. N’est-ce pas justement la remise en cause de cette liberté  entre autres des empereurs de Ndoumbélane, à faire du texte fondamental de la nation ce qu’ils veulent ou ce qu’ils jugent bon pour eux, qui est à l’origine de « la dérive monarchiste » que nous dénonçons et des Assises Nationales proposées comme alternatives ?
En tout cas, si le Gladiateur ne conservait que « ce qui est bon » pour lui de ces conclusions, il peut être assuré de ne rédiger qu’une sorte de règlement intérieur pour sa cour, des règles de conduite à sa convenance qui ne survivraient pas à son règne.
       Les souvenirs parfois tragiques avec des morts et des estropiés, ont marqué au fer rouge la lutte contre la candidature du dernier Empereur de Ndoumbélane. Et c’est bien à ces martyrs que le Gladiateur doit son trône plus qu’à la constitution qui en était la cause et qu’il cherche aujourd’hui à transformer en bouclier de ses désirs.
       Nous nous montrions déjà sceptiques sur la pertinence de cette commission de plus après les Assises Nationales. Mais l’aura du Patriarche, son intégrité et son patriotisme à toute épreuve nous avaient contraints à ravaler nos pensées, à étouffer nos critiques. 
Naïfs ou trop optimistes, nos craintes n’allaient pas au-delà de coupes sombres et clandestines qui feraient des conclusions des Assises, une pâle copie du célèbre pantalon de Moriba.
Aujourd’hui, face au débat en gestation, le Gladiateur n’a cherché qu’à apaiser les craintes de ses partisans d’ailleurs un peu trop prématurément dressés contre le projet. « … je demande à ceux qui sont avec moi, mes proches, de ne pas se lancer dans une vaine polémique.»  Quel gâchis et quel dommage!
Ce serait pourtant un grand réchauffement au cœur pour l’ensemble des concitoyens de Goorgorlu si cette phrase leur était adressée même si elle devait rejoindre au cimetière de l’histoire le fameux  « je vous ai compris » du Général De Gaulle en Algérie. Nous aurions sûrement fait l’économie de conflits dont la nature et l’ampleur restent encore dans le secret des Dieux.
Si la politique est un rapport de forces, l’unité n’en est pas le Newton, et la puissance d’un gouvernant se mesure autrement qu’en kilowatts. Parce qu’en démocratie, l’unité de puissance est bien « une voix », le Gladiateur ferait mieux de chercher à rallier à sa cause le maximum de voix au lieu d’invoquer les dispositions obsolètes d’une constitution historiquement condamnée et qui lui confère des pouvoirs de monarque.
L’attachement à la démocratie et à notre république (fut-elle d’essence monarchique) est une fierté nationale à Ndoumbélane. C’est pourquoi, exception faite de « l’ancien spermatozoïde et futur cadavre » qui continue de regarder le Gladiateur comme un usurpateur, partisans et adversaires s’accordent à reconnaitre sans réserve sa légitimité.
Son acharnement à clamer cette légitimité ne s’explique donc pas.  Ce qui est en cause c’est plutôt sa capacité à opérer une rupture, à aller dans le sens de l’histoire et de la volonté populaire. Et sur ce terrain, il est encore malheureusement, loin de convaincre.
       La somme de petites phrases telles que « les Goorgorlu ne me demanderont pas si j’ai respecté la loi » pour justifier les dérapages notés dans le non-respect du code des marchés, alignées à côté des propos qui font l’actualité, nous donne un aperçu du talent de jongleur du Gladiateur. Il fait appel à la loi quand ça l’arrange et la bafoue à chaque fois qu’elle limite ses désirs.
Si l’histoire est turbulente, elle n’est certainement pas amnésique. La légitimité du Tsar en Russie, du Négus en Ethiopie, et plus proche de nous du Président Tandian au Niger, n’a pas empêché le vent de l’histoire de les jeter aux orties parce qu’ils tardaient à mettre en œuvre des changements démocratiques venus à maturité.
S’il y a une certitude, c’est bien que l’esprit des Assises vaincra. Peut-être grâce au Gladiateur peut être aussi malgré le Gladiateur. L’histoire ne retiendra de lui que la part qu’il aura joué dans le processus de la mise en œuvre inévitable de ce projet. Les espoirs portés en lui, fondent notre intime conviction que la majorité de ses concitoyens lui souhaite encore une place au Panthéon même si la lave en fusion dans les entrailles du peuple peut surgir de manière imprévisible pour cracher sa charge mortelle.  



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