LE
PANTALON DE MORIBA
Par Bassirou
Selemane NDIAYE
« L’imbécile
regarde le doigt quand le sage lui montre la lune » ! Ce
proverbe chinois n’est pas seulement vrai en Chine. Il est donc inutile d’aller
à Pékin pour s’en assurer. On peut même dire que c’est une vérité universelle.
Mais alors,
qu’est donc est allé faire d’autre, le Gladiateur au pays de Mao Tse Dong où
ses déclarations inappropriées sur les questions strictement nationales
montrent qu’il ne voit pas au-delà du doigt du Patriarche ?
Au lendemain
de la remise officielle du document de travail de la commission présidée par le
Patriarche, nous étions nombreux à douter des propos d’un journal local qui
attribuait au Gladiateur des confidences indignes d’un démocrate : « Je ferai ce que je veux des conclusions de la
commission nationale !» Beaucoup de concitoyens de Goorgorlu
avaient juré que cette phrase malheureuse ne pouvait pas sortir de la bouche
d’un « Président de rupture ».
Vingt ans avant lui, un géant de notre histoire (ne serait-ce que par sa taille),
qui s’était longtemps battu pour défendre « le
meilleur code du monde » avait dit du haut de sa
légitimité : « je jure de ne
pas changer une seule virgule du texte consensuel ».
Mais l’espoir fut de courte durée. Quarante huit heures plus tard,
amis, sympathisants et simples démocrates constatent avec amertume que les
propos indésirables étaient publiquement tenus par le Gladiateur en plus d’une leçon de morale à tout un peuple,
et tout ça à des milliers de kilomètres du théâtre national. « Je prendrai dans son contenu ce que je
jugerai bon. Dans tous les pays, c’est de cette façon que les choses
marchent ». Même en Chine, sommes-nous tentés de
demander ? En tout cas, pour un tel exercice, l’auditoire-cible, était certainement
loin, très loin de la Chine.
Ce qui est bon pour le Gladiateur n’est pas forcément bon pour
Gorgorlu. N’est-ce pas justement la remise en cause de cette liberté entre autres des empereurs de Ndoumbélane, à
faire du texte fondamental de la nation ce qu’ils veulent ou ce qu’ils jugent
bon pour eux, qui est à l’origine de « la dérive
monarchiste » que nous dénonçons et des Assises
Nationales proposées comme alternatives ?
En tout cas, si le Gladiateur ne conservait que
« ce qui est bon »
pour lui de ces conclusions, il peut être assuré de ne rédiger qu’une sorte de
règlement intérieur pour sa cour, des règles de conduite à sa convenance qui ne
survivraient pas à son règne.
Les souvenirs parfois tragiques avec des morts et des estropiés,
ont marqué au fer rouge la lutte contre la candidature du dernier Empereur de
Ndoumbélane. Et c’est bien à ces martyrs que le Gladiateur doit son trône plus
qu’à la constitution qui en était la cause et qu’il cherche aujourd’hui à
transformer en bouclier de ses désirs.
Nous nous montrions déjà sceptiques sur la pertinence de cette
commission de plus après les Assises Nationales. Mais l’aura du Patriarche, son
intégrité et son patriotisme à toute épreuve nous avaient contraints à ravaler
nos pensées, à étouffer nos critiques.
Naïfs
ou trop optimistes, nos craintes n’allaient pas au-delà de coupes sombres et
clandestines qui feraient des conclusions des Assises, une pâle copie du
célèbre pantalon de Moriba.
Aujourd’hui, face au débat en gestation, le
Gladiateur n’a cherché qu’à apaiser les craintes de ses partisans d’ailleurs un
peu trop prématurément dressés contre le projet. « …
je demande à ceux qui sont avec moi, mes proches, de ne pas se lancer dans une
vaine polémique.» Quel gâchis et quel dommage!
Ce serait
pourtant un grand réchauffement au cœur pour l’ensemble des concitoyens de
Goorgorlu si cette phrase leur était adressée même si elle devait rejoindre au
cimetière de l’histoire le fameux
« je vous ai compris »
du Général De Gaulle en Algérie. Nous aurions sûrement fait l’économie de
conflits dont la nature et l’ampleur restent encore dans le secret des Dieux.
Si la politique est un rapport de forces,
l’unité n’en est pas le Newton, et la puissance d’un gouvernant se mesure
autrement qu’en kilowatts. Parce qu’en démocratie, l’unité de puissance est
bien « une voix », le Gladiateur ferait mieux de chercher à rallier à
sa cause le maximum de voix au lieu d’invoquer les dispositions obsolètes d’une
constitution historiquement condamnée et qui lui confère des pouvoirs de
monarque.
L’attachement
à la démocratie et à notre république (fut-elle
d’essence monarchique) est une fierté nationale à Ndoumbélane.
C’est pourquoi, exception faite de « l’ancien
spermatozoïde et futur cadavre » qui continue de regarder le
Gladiateur comme un usurpateur, partisans et adversaires s’accordent à
reconnaitre sans réserve sa légitimité.
Son
acharnement à clamer cette légitimité ne s’explique donc pas. Ce qui est en cause c’est plutôt sa capacité
à opérer une rupture, à aller dans le sens de l’histoire et de la volonté
populaire. Et sur ce terrain, il est encore malheureusement, loin de
convaincre.
La somme de petites phrases telles que « les Goorgorlu ne me demanderont pas si j’ai
respecté la loi » pour justifier les dérapages notés dans le non-respect
du code des marchés, alignées à côté des propos qui font l’actualité, nous
donne un aperçu du talent de jongleur du Gladiateur. Il fait appel à la loi
quand ça l’arrange et la bafoue à chaque fois qu’elle limite ses désirs.
Si l’histoire est turbulente, elle n’est
certainement pas amnésique. La légitimité du Tsar en Russie, du Négus en
Ethiopie, et plus proche de nous du Président Tandian au Niger, n’a pas empêché
le vent de l’histoire de les jeter aux orties parce qu’ils tardaient à mettre
en œuvre des changements démocratiques venus à maturité.
S’il y a une certitude, c’est bien que l’esprit
des Assises vaincra. Peut-être grâce au Gladiateur peut être aussi
malgré le Gladiateur. L’histoire ne retiendra de lui que la part qu’il aura
joué dans le processus de la mise en œuvre inévitable de ce projet. Les espoirs
portés en lui, fondent notre intime conviction que la majorité de ses
concitoyens lui souhaite encore une place au Panthéon même si la lave en fusion
dans les entrailles du peuple peut surgir de manière imprévisible pour cracher
sa charge mortelle.
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