Nul ne peut contester le
fait, que malgré les hésitations et atermoiements du pouvoir “ yakaariste ” sur
la question de la refondation institutionnelle, quelques pas sont en train
d’être faits dans la bonne direction sous l’œil vigilant du mouvement populaire
(suppression du sénat, traque des biens mal acquis, commission nationale de
réforme des institutions…). Curieusement, au moment où les conclusions de la
CNRI sont attendues avec impatience par les forces vives initiatrices des
Assises Nationales, on observe des régressions inadmissibles au sein du
mouvement syndical sénégalais.
Tout se passe comme si la
bonne gouvernance et la reddition des comptes ne devraient concerner que le
premier magistrat de la Nation, les membres du gouvernement et autres députés
ou membres du CESE. Or, il est évident que la bonne gouvernance au niveau de l’appareil d’Etat,
la refondation institutionnelle et la promotion de la démocratie participative
ne pourront jamais devenir des réalités tangibles dans notre pays, si les
cadres organisationnels que sont les partis, syndicats, organisations
professionnelles et même organisations de la société civile…etc. continuent à
être instrumentalisés pour satisfaire les ambitions d’une personne ou d’un
groupe, au mépris des normes élémentaires de fonctionnement démocratique.
DE L’AUTONOMIE SYNDICALE A LA PARTICIPATION IRRESPONSABLE !
Concernant les organisations syndicales, on a
assisté à la consolidation et à la quasi-généralisation de tares monstrueuses,
qui avant 2000, restaient confinées aux
syndicats dits participationnistes, dont la CNTS constituait l’exemple le plus
achevé. On pensait, alors naïvement qu’avec la disparition du Parti-Etat
“socialiste”, on allait assister à la généralisation du syndicalisme autonome,
dont des organisations telles que l’UNTS, le SES, le SUDES, le SUTSAS, le
SUTELEC… étaient les pionnières. Quelle ne fut donc la surprise des Sénégalais
de voir certains parmi les syndicats jadis réputés progressistes voire
révolutionnaires, liant leurs luttes avec celles populaires, s’engager dans les
méandres de la mal-gouvernance et de la tortuosité, conduisant entre autres
conséquences, à l’émiettement des organisations syndicales avec développement
de tendances anarcho-nihilistes pour certaines d’entre elles. De fait, alors
qu’auparavant l’alternance à la tête des organisations syndicales allait de
soi, que des dispositions statutaires interdisaient le cumul de fonctions
gouvernementales ou institutionnelles avec celles de membres de membres de la
direction des syndicats, la situation allait radicalement changer. Certains syndicats
réformistes, en plus d’adopter des postures corporatistes et égoïstes,
ressemblaient de plus en plus à des partis politiques. Un secrétaire général de
centrale syndicale pouvait désormais être PCA, député ou sénateur. Pire, on a
vu des pratiques clientélistes prospérer, avec comme objectif constant mais inavoué,
la pérennisation de la mainmise d’un groupe dirigeant sur l’organisation
syndicale. En vue d’amadouer des militants frustrés et désorientés, des
directions syndicales leur faisaient miroiter l’acquisition d’un toit à un coût
modique et à des conditions alléchantes. Pour ce faire, ils n’hésitaient pas à s’acoquiner
parfois avec des agences immobilières, dont certaines parrainées par le Président
de la République en personne !
Ayons le courage de
reconnaître que durant le règne libéral, des partis d’opposition, dont certains sont bien représentés au niveau des directions de plusieurs
syndicats, n’ont pas accordé à la lutte des travailleurs toute l’attention
requise ! Pire, ces formations politiques, dont la plupart se réclament de
la gauche, ont fait preuve d’une indulgence manifeste et coupable face aux travers
de la bureaucratie syndicale, que sont les entorses graves aux principes bonne
gouvernance et de démocratie syndicale. Par ailleurs, en ne s’opposant pas
fermement aux opérations illégales de
financement occulte de leurs activités, à la spéculation foncière et à l’augmentation du train de vie de l’Etat
(en cautionnant la création de nouvelles institutions inutiles et coûteuses),
ces dirigeants syndicaux ont dissocié leur lutte de celle globale de leur
peuple, ce qui explique leur neutralité indécente voire scandaleuse lors des
manifestations citoyennes contre le régime libéral.
SITUATION DE CRISE DANS LES SYNDICATS
Récemment, l’opinion a pu assister à l’éclatement de
crises au niveau de l’UNSAS et de divers syndicats de base, dont le SUTELEC et
le SUTSAS. Parmi les reproches faits aux directions inamovibles de ces
organisations, qui tendent à adopter une structuration maffieuse, il y a
d’abord et avant tout le manque de démocratie interne, le non-respect
de la périodicité de tenue des Congrès ordinaires et l’opacité dans la vente
des cartes conduisant à une désignation tronquée des délégués. C’est ainsi qu’il
est fréquent de voir des délégués au Congrès qui n’étaient mandatés par aucune
instance de base. On a pu également assister à une réforme des textes régissant
les syndicats, permettant de contourner les dispositions sur la limitation des
mandats du secrétaire général. Mais le plus grave est certainement la
confiscation des organes dirigeants et des ressources de syndicats, par des groupes
dont certains membres n’avaient même plus la qualité de travailleur en
activité. Si on y ajoute le clientélisme (billets aux Lieux Saints, bourses de
voyages, affectations…), l’absence d’éthique et de déontologie, on est en droit
de s’interroger sur la similitude grandissante entre ces organisations censées
défendre les simples gens contre les abus des puissants et certains partis
politiques sanctionnés par les citoyens sénégalais en 2000 et 2012. C’est
pourquoi, on peut aisément comprendre la collusion objective de plusieurs
directions syndicales avec les pouvoirs publics, qu’on essaie de recouvrir du
manteau pudique de “syndicalisme de développement”.
Tout cela a conduit à l’inefficacité observée depuis quelques années dans la
lutte syndicale, marquée par des simulacres de grèves, des mises en scène
fortement médiatisées et des pseudo-accords, si difficiles à mettre en
œuvre !
QUELLES
PERSPECTIVES POUR LE MOUVEMENT SYNDICAL ?
Pour ressusciter les nobles
traditions du mouvement syndical sénégalais, qu’à une certaine période, les
tenants du syndicalisme autonome symbolisaient au mieux, il s’agit de renouer
avec un syndicalisme de lutte favorisant le débat démocratique à tous les
niveaux de l’organisation par :
-
le rétablissement d’une gouvernance
syndicale vertueuse tournée vers la défense exclusive des intérêts des
travailleurs et des populations;
-
un
fonctionnement régulier des instances de base, qui doivent être
impliquées du début à la fin des processus revendicatifs ;
-
le respect scrupuleux du calendrier de tenue
des instances nationales et Congrès nationaux ;
-
une représentation équitable des militants aux
Congrès, par le contrôle rigoureux de la vente des cartes ;
-
la nécessité de lier le statut de militant
syndical à celui de travailleur en activité ;
-
la fixation de la durée d’un mandat de
secrétaire général national à trois ans avec limitation des mandats à
deux ;
-
la gestion transparente des ressources
financières et des projets mis en œuvre par les syndicats ;
-
la mise en œuvre de procédures internes de
sélection des militants pour l’obtention des droits ou avantages qui leur
reviennent (bourses, voyages, postes de responsabilité…);
-
une gestion transparente de la Coopérative
d’Habitat, basée sur l’éthique, pour l’acquisition de logements au profit des
travailleurs de la Santé ;
-
l’alliance la plus large sur des bases saines
et transparentes avec les autres syndicats du Secteur.
Un des objectifs
prioritaires des Assises Nationales était de réfléchir sur les conditions de
refondation non seulement de l’Etat et des institutions, mais aussi de
l’économie et de la société, avec une exigence de transparence, la
nécessité d’une éradication du clientélisme politicien et de
consolidation de la démocratie participative. Il s’agissait donc de
promouvoir la citoyenneté active et l’éthique de responsabilité, à travers une
gouvernance effective et efficiente aussi bien au niveau de l’Etat Central, qu’à
celui des collectivités locales, sans oublier les organisations syndicales et
les partis politiques.
Cela, aucun Sénégalais ne devrait l’oublier ! Surtout pas les
syndicalistes et les politiciens !
Joseph BADJI
Syndicaliste
retraité
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