SANTE : deliquescence des
districts et imbroglio hospitalier
Au moment où le système hospitalier végète dans une crise qui perdure, les
districts sanitaires qui peinent à recevoir des Collectivités locales, les
ressources de leurs fonds de dotation sont sinon laissés à eux-mêmes, tout au
moins jetés en pâture aux Partenaires Techniques et Financiers ou autres
organisations non gouvernementales. C'est dans ce contexte, dont la nouvelle
équipe du Yoonu Yokkuté ne semble pas encore prendre la pleine mesure, que
certains professionnels de la santé s’inquiètent de l’orientation prise depuis
quelques années par le système de santé de notre pays, dans l’optique de mise
en œuvre de la couverture maladie universelle et d’atteinte des objectifs
du millénaire pour le développement (OMD), notamment par la réduction des
mortalités maternelle, infanto-juvénile ou celle due aux affections courantes
(paludisme, tuberculose, affections à VIH).
AFFAIBLISSEMENT
DES DISTRICTS ET ″BOULIMIE″ HOSPITALIERE !
Premièrement, on
assiste à une prolifération de districts « fictifs » tels que Coki ou
Sakal dont les postes de santé sont « transformés » en centres de
santé, occasionnant d’innombrables conflits entre techniciens de santé. Même si
les arrière-pensées politiciennes sautent aux yeux, n’aurait-il pas été plus
pertinent de construire d’abord le centre de santé de référence, avec le
plateau technique requis pour la mise en œuvre d’un paquet complémentaire
d’activités (hospitalisation, analyses de laboratoires…) venant en appoint à
celui minimal des postes de santé ?
Deuxièmement, on
assiste à une tendance à renforcer le parc hospitalier national au détriment du
système de santé de district. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le
décret présidentiel n°2010-774 du 15 juin 2010, érigeant les centres de santé
de référence de dix districts sanitaires en établissement publics de santé de
niveau I (EPS1). Les centres de santé suivants étaient concernés : Roi Baudoin
de Guédiawaye, Youssouf Mbargane de Rufisque, l’IHS ou ex-Polyclinique, Ndamatou
de Touba ainsi que ceux de Tivaouane, Mbour, Linguère, Kaffrine, Richard-Toll
et Sédhiou.
Si le prétexte de la satisfaction d’une revendication syndicale exigeant
l’érection des centres de santé en hôpital de niveau 1 a été avancé, il faut
bien comprendre qu’il s’agissait essentiellement pour la plupart des
syndicalistes d’améliorer la gouvernance sanitaire, par l’adoption d’une
comptabilité plus moderne ainsi que par une implication accrue des travailleurs
et des usagers dans la gestion de la structure, notamment celle des comités de
santé. En réalité, ce décret a été le fruit du lobbying intense
d’une cohorte massive d’administrateurs des services de santé ayant des
relais au niveau de certaines directions syndicales. Sinon comment expliquer,
que le comité de pilotage de l’implantation des EPS1 mis en place par note de
service n°007570/MSP/DES du 23 juillet 2010 n’ait jamais réellement
fonctionné ? Pourquoi les commissions mises sur pied (organisation du
district ; administration et législation ; ressources humaines ;
infrastructures et équipements ; finances) n’ont-elles jamais rendu
leurs conclusions ? C’est dans la plus grande précipitation que le décret
présidentiel n°2011-261 du 21 février 2011 portant nomination des directeurs
d’hôpitaux sera publié après le limogeage du Directeur des Etablissements
Publics de Santé d’alors, qui s’était beaucoup investi pour que des
mesures soient prises pour accompagner le décret. Il va de soi que, sans la
passivité des médecins de district et des syndicats, tout cela n’aurait pas pu
se faire, du moins pas de cette manière. Au moment où le ″lobby
hospitalier″, bien positionné dans le nouvel attelage ministériel et ayant l’avantage de la longévité à des postes
stratégiques, s’apprête à exiger que
de nouveaux centres de santé parmi les plus performants soient érigés en EPS1,
il importe de marquer un temps d’arrêt et de procéder à une évaluation de la
première génération d’EPS1.
ERECTION DES
CENTRES DE SANTE EN EPS1 : BILAN D’ETAPE
Pendant plus de deux
ans, les premiers EPS1 ont dû vivoter sans budget propre ni conseil
d’administration réellement fonctionnel. Dans la plupart des districts
concernés par ce décret, d’innombrables difficultés sont apparues,
surtout dans ceux ne disposant pas d’un centre de santé secondaire,
pour y transférer l’activité dite de santé publique.
L’exemple le plus emblématique est constitué par le district de Guédiawaye,
site reconnu pour la formation et la recherche médicales, qui faisait la fierté
des usagers, des professionnels et du monde universitaire, autant par son
accessibilité et sa capacité d’accueil que sa contribution émérite à la lutte
contre la mortalité maternelle et celle contre les infections sexuellement
transmissibles, y compris le VIH. Ne disposant d’aucun autre centre de santé
secondaire, les populations de Guédiawaye ont été les premières à revendiquer
la création d’une nouvelle structure de référence en lieu et en place de celle
qui venait d’être érigée en EPS1.
A l’occasion de la fête du 1er mai 2013, les travailleurs de
l’hôpital Youssou Mbargane Diop de Rufisque ont attiré l’attention de l’opinion
sur les difficultés énormes rencontrées par leur nouvel EPS1, qui malgré son
changement de statut, ne disposait toujours pas de moyens conséquents,
notamment en termes de ressources humaines et d’équipements pour permettre à la
structure de jouer pleinement son rôle.
Dans la deuxième semaine du mois de Mai, les OCB du district de Dakar-Sud
ont saisi le Préfet du Département de Dakar et informé l’opinion nationale de
la situation de déliquescence de leur district, en proie à de graves
difficultés suite à l’érection du centre de santé de l’IHS en EPS1. Des
problèmes similaires sont rapportés à Kaffrine, Sédhiou…etc.
Dans la plupart de ces nouveaux EPS, en partie à cause de l’absence de
budgets, on a noté une réduction de l’accessibilité financière, dans le même
temps où on observait une détérioration de la qualité des soins. Occupés à
mettre en place l’appareil administratif de ces embryons d’hôpitaux, auxquels
le Ministère n’avait pas encore octroyé de subventions, les nouveaux
directeurs avaient très peu de temps et de moyens pour se préoccuper d’enjeux
sanitaires. C’est ainsi que les gestionnaires de programmes rattachés au
Ministère de la Santé seront les premiers à se rendre compte des incidences négatives
de la désarticulation du système de santé des districts concernés sur la
coordination des activités et même sur les indicateurs (flambée de tuberculose
à Guédiawaye mise en évidence lors d’une réunion de l’ONG PLAN, chute des
performances de l’hôpital Roi de Baudouin en matière de lutte contre la
mortalité maternelle, fermeture de centre de dépistage volontaire et anonyme au
district sud…etc.). Aussi est-il légitime de remettre sur la table, la notion
d’hôpital de district, quand on sait qu’un arrêté de juillet 2007 faisait déjà
de tous les centres de santé des hôpitaux de district.
HÔPITAL DE
DISTRICT OU EPS DE NIVEAU 1 ?
Cet « hôpital de district », est considéré comme un établissement
faisant partie d’un système complet de soins, le district sanitaire. Les
éléments constitutifs du district sont les suivants : une zone
géographique déterminée, une population précise, des structures de santé et des
structures de la participation communautaire : comité de santé, comité de
gestion, réseaux communautaires (organisations communautaires de base dont ASC,
GPF, associations de quartiers/ villages, relais communautaires, badjenou gox).
Le district de santé reste et demeure l’unité géographique opérationnelle
pour l’offre des services de santé de base aux populations. C’est le niveau
opérationnel, le niveau de mise en œuvre de la politique sanitaire de notre
pays, lieu de prédilection pour la mesure des indicateurs sanitaires rapportés
à une population-cible (les deux autres niveaux, central et intermédiaire,
n’apportant qu’un appui à la viabilisation du district de santé).
Les soins de santé primaires contiennent huit éléments : éducation
sanitaire, approvisionnement en denrées alimentaires, approvisionnement en eau
potable et assainissement, soins de santé maternelle et infantile, y compris la
planification familiale, vaccinations, maladies endémiques, autres maladies et
lésions diverses et approvisionnement en médicaments essentiels. La stratégie
des soins de santé primaires a été mise en place lors de la conférence
d’Alma Ata en 1978 pour la protection et la promotion de la santé des
populations. Elle prend la famille comme noyau de base et met l’accent sur les
éléments suivants : l’approche communautaire, l’équité, droit pour chaque
citoyen de participer à la planification et à la mise en œuvre des soins de
santé qui lui sont destinés, la multisectorialité, une prédominance
du préventif sur le curatif, dans le cadre de soins de santé de
proximité. Malgré les difficultés de mise en pratique de cette stratégie, liée
au contexte socioéconomique, on n’a pas encore pu leur trouver d'ersatz valable
pour fournir des soins de santé de base à la population rurale, mais aussi aux
couches défavorisées en zone urbaine.
Il est temps pour les pouvoirs publics prendre leurs responsabilités !
Le système de santé de district considéré avec méfiance par les
collectivités locales, qui lui préfèrent les centres et postes de santé, subit
les coups de boutoir du lobby hospitalier très puissant au niveau du Ministère
de la Santé et de l’Action Sociale. En effet cette volonté de renforcement du
parc hospitalier national au détriment des centres de santé de référence des
districts se déroule dans un contexte de crise du système hospitalier, qui a fait l’objet d’une grande concertation
nationale en octobre 2006, présidée par Mr Macky Sall, à l’époque, Premier
ministre. Depuis lors, aucune mesure de redressement significative n’a été
prise.
Personne ne remet en cause l’utilité du système hospitalier à cause de la
part croissante occupée par les affections non transmissibles et autres
maladies à soins coûteux dans la morbidité et la mortalité de notre pays.
Il importe, cependant, d’aller au-delà du tout curatif, qui ne se justifie
dans aucune structure sanitaire, quel que puisse être le niveau de son plateau
technique. Et cela, d’autant que la prévention des affections chroniques non
transmissibles et autres maladies à soins coûteux est autrement plus complexe
(interpellant des processus cognitifs en vue d’un changement de
comportement) que la prophylaxie des maladies transmissibles aiguës, qui subit
davantage la contrainte des facteurs socio-économiques (revenus, niveau
de scolarité, disponibilité alimentaire, eau potable, habitat et
assainissement) si difficiles à juguler !
C’est pourquoi, au-delà des tiraillements entre hospitaliers et tenants de
la santé publique, il s’agit de trouver un juste équilibre entre offres de
soins curatifs, préventifs et promotionnels à tous les niveaux. C’est à ce prix
que l’atteinte des OMD pourra devenir une réalité dans un avenir pas trop
lointain !
Cela est particulièrement vrai pour les EPS1 ou hôpitaux de district censés
être plus proches des populations, pour qu’ils aillent au-delà de leur mission
très restrictive, telle qu’elle est encore perçue par une Direction des
Etablissements de Santé, empêtrée dans l’imbroglio hospitalier !
Dr Mohamed
Lamine LY
Médina-Rasmission
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire